Chano Devi

(1938 – 2010) Jitwapur, Bihar

 

Sonia Gandhi et Chano Devi
Workshop, New Delhi, circa 1990

Dans le district de Madhubani (situé au nord de l’Inde dans l’État du Bihar frontalier avec le Népal), autrefois royaume du Mithila, existe une tradition picturale ancestrale, le Mithila Painting. Il s’agit d’une pratique essentiellement féminine qui se transmet de mère en fille. Chaque caste a ses propres codes de représentation. Les castes supérieures ont été encouragées par des émissaires du gouvernement indien à transcrire leur art rituel et éphémère sur des supports permanents, comme le papier, dès les années 40. Au cours des années 70, apparaissent pour la première fois des oeuvres sur papier réalisées par les femmes appartenant aux basses castes.

 

Entre 1972 et 1978, l’anthropologue allemande Erika Moser, a visité à plusieurs reprises le district de Madhubani pour étudier et filmer l’artisanat et les rituels des dusadh, qui font partie de la caste connue en occident sous le nom d’intouchable. Moser a incité les femmes dusadh à peindre également sur papier dans le but de générer des revenus complémentaires à leurs activités quotidiennes. Peu au fait de la signification des graphismes complexes utilisés par les Kayastha et les Brahmanes, les femmes dusadh ont commencé à s’inspirer de leurs propres traditions et ont développé trois styles et techniques qui leur sont spécifiques. Le premier fut initié par Chano Devi et s’inspire des tatouages. Ce style est depuis connu sous le nom de Godhana (Godna signifiant tatouage). Ces peintures, alors en grande partie composées de lignes, de cercles concentriques remplis de motifs inspirés par la flore et la faune étaient réalisées à l’aide d’une plume de bambou et d’encre noire. Ce style a été adopté par un grand nombre de femmes dusadh et a changé au fil du temps pour inclure l’utilisation de gammes de couleurs végétales à base de fleurs, de feuilles, d’écorces, de fruits. Les thèmes des peintures ont également évolué en incluant des scènes de leur vie quotidienne et de leur pratique rituelle. Les divinités propres à leur caste y côtoient les représentations d’esprits issus de croyances animistes.

 

Chano Devi, 1999, bouse de vache sur papier 150x120 cm
Collection privée, Paris

Dans cette série d’oeuvres sur papier réalisées en 1999, Chano Devi se singularise par une liberté d’expression unique. Délaissant un style codifié par une demande locale par trop commerciale, elle renoue avec cette liberté que j’avais pu entrevoir sur une photo d’un workshop réalisé en présence de Sonia Gandhi, et n’hésite pas à changer sans cesse de genre. Qu’elle présente des motifs abstraits réalisés à l’aide de simples morceaux de tissus roulés en boule utilisés comme tampons ou des sujets figuratifs délimités par un principe de doubles lignes, des personnages réduits à des formes géo- métriques originelles ou un bestiaire imaginaire, chaque oeuvre témoigne d’un talent rare et singulier.