07.11.2010 — 02.01.2011
Rudolf Haas

Né à Vienne en 1937, Rudolf Haas confie qu'on ne se remet pas facilement d'une enfance vécue sous un régime totalitaire. Il en a gardé l'incurable détestation de tout ce qui est susceptible d'embrigader et d'aliéner l'individu. Le choix du métier d'artiste abordé en autodidacte – surtout pas d'école d'art qui aurait encore représenté pour lui une autre forme d'enrôlement! – répond donc à une impérieuse nécessité d'exorcisme.

 

Mais pas question pour autant de donner dans un art engagé et militant: ce serait encore entrer dans le jeu de l'ennemi! C'est par la nature même de sa démarche et de ses matériaux qu'il exprime sa révolte existentielle. Son refus d'ajouter des images et des objets à la pléthore qui nous submerge, son choix de réutiliser ceux qui existent déjà pour mieux les dénaturer, les oblitérer et les transfigurer, son besoin de brouiller les signes et d'effacer les images, il les revendique comme autant d'actes de résistance et de manifestes contre la culture dominante.

 

Même si Rudolf Haas a quitté Vienne en 1954 pour quelques années de nomadisme et de bohême montmartroise avant de s'installer à Genève en 1961 avec sa première femme Monique et depuis 2002 sa seconde épouse Haiba, il reste marqué au sceau du baroque. Ses reliefs-assemblages des années 1970 et 1980 amalgament -fondus et comme vitrifiés dans la résine synthétique, puis peints à l'huile- une profusion furieuse d'objets de rebut entassés et imbriqués: quincaillerie rouillée, vaisselle brisée, vieux robinets, gobelets de yaourts, boîtes de conserve..., comme un portrait de notre monde du trop-plein et du prêt-à-jeter.

 

 

Mais peu à peu, contaminées peut-être par la retenue et la sobriété protestantes de sa terre d'adoption ou quelque peu apaisées avec le temps, ses outrances s'intériorisent, ses matières s'allègent, ses images s'enfouissent. Le papier devient alors l'unique support de ses explorations et métamorphoses qui s'inventent en se faisant entre dessin, collage, grattage, effaçage et recouvrement, et le terrain d'affrontement de ses pulsions contraires: à mesure qu'il fait, il défait.

 

Qu'il ajoute, il enlève. Qu'il peint ou dessine, il efface. C'est dans cette ambivalence paradoxale et féconde et sur le souvenir et la sédimentation d'images antérieures que naissent désormais ses palimpsestes, dans un va-et-vient perpétuel entre l'enlevé et l'élaboré, le gestuel et le contemplatif, les tumultes profonds et les murmures à fleur de papier. Rudolf Haas est un homme du trop qui cherche le peu, un excessif qui rêve d'ascèse, un compulsif de la surcharge qui aspire au dépouillement méditatif, un accumulateur qui finit par effacer ses images et recouvrir ses bouillonnements intérieurs d'une chape de silence.

 

Françoise Jaunin
Préface de la monographie « Art-Colle », 2010, Benteli